Les entreprises familiales seraient-elles plus soucieuses de l’environnement que les autres ? Une étude menée par Faten Lakhal, enseignante-chercheuse à l’EMLV, met en lumière un lien entre gouvernance familiale et performance carbone dans le contexte français.
À partir d’un panel de 308 entreprises cotées sur l’indice CAC-All Shares, l’analyse dévoile des comportements différenciés en matière d’émissions, révélateurs des spécificités des logiques familiales.
Cet article, co-écrit avec Assil Guizani, enseignant-chercheur en finance à l’EDC Paris Business School, Emna Brahem, docteure à l’Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières, et Florence Depoers, professeure des universités en sciences de gestion au sein du même établissement, a été publié sur The Conversation. Il s’inscrit dans une démarche de diffusion des résultats de la recherche académique auprès d’un public élargi, en mettant en lumière les enjeux de durabilité et de gouvernance des entreprises cotées en France.
Ces entreprises détenues ou dirigées par une famille émettent moins de carbone que leurs homologues non familiales. De nombreux paramètres entrent en compte : l’éponymie de l’entreprise, le stade générationnel et le niveau d’implication des fondateurs et de la famille.
Face à l’urgence climatique, les entreprises sont appelées à réduire leurs émissions de carbone – libération de dioxyde de carbone (CO2). Parmi elles, les sociétés contrôlées ou gérées par des familles – appelées désormais entreprises familiales – se distinguent par une gouvernance et des spécificités qui peuvent influencer leur engagement envers la décarbonisation. Elles adoptent souvent une vision à long terme, sont motivées par la transmission d’un héritage, et attachent une importance particulière à leur réputation familiale.
Ces valeurs, regroupées sous le concept de « richesse socioémotionnelle », semblent s’accorder avec les principes du développement durable. Mais les entreprises familiales sont-elles vraiment moins émettrices de carbone que les autres ?
Notre article explore cette hypothèse dans le contexte français. En utilisant un échantillon de 308 entreprises cotées, appartenant à l’indice CAC-All Shares de 2002 à 2020, nos résultats montrent que les entreprises familiales émettent moins de carbone que leurs homologues non familiales. Ces résultats confirment l’argument de la richesse socioémotionnelle : les familles poursuivent des objectifs non financiers, tels que la préservation de l’héritage, l’attachement émotionnel et l’identification avec l’entreprise, et s’engagent ainsi à réduire les émissions de carbone.
Mais toutes les entreprises familiales ne se ressemblent pas. Les entreprises familiales ne forment pas un groupe homogène et leurs comportements varient en fonction de caractéristiques spécifiques. Nous analysons l’influence de trois facteurs : l’éponymie familiale – lorsque le nom d’une entreprise est associé au nom de la famille –, le stade générationnel et le niveau d’implication des membres de la famille dans la gestion.
Éponymie familiale
Le premier effet observé est celui de l’éponymie familiale. Lorsque l’entreprise porte le nom de la famille, une pression implicite s’exerce pour maintenir une image positive. Selon Thierry Poulain-Rehm et Céline Barrédy :
Lorsque l’entreprise, le fondateur éponyme et les membres de la famille portent le même nom, leurs réputations respectives sont étroitement liées. Des transferts d’image peuvent s’opérer à la fois de la personne vers l’entreprise, mais aussi de l’entreprise vers le fondateur.
Cet effet réputationnel conduit la famille à se préoccuper davantage de l’environnement. Il en résulte qu’au sein de notre échantillon, les entreprises familiales éponymes émettent moins de carbone que les autres.
Stade générationnel
Notre étude met également en évidence l’effet du stade générationnel. Le premier stade est celui du fondateur. Les familles des premières générations se préoccupent plus des émissions de carbone que celles des générations ultérieures. Cette observation concorde avec les travaux antérieurs. Les membres fondateurs entretiennent des liens affectifs plus forts avec leur entreprise.
Par conséquent, ils sont plus attachés à préserver leur réputation, ce qui les encourage à entreprendre des actions réduisant les émissions de carbone. En revanche, les générations ultérieures tendent à privilégier les objectifs financiers au détriment des liens affectifs.
Implication de la famille et des fondateurs
Un dernier effet est constaté : le leadership familial. L’implication de la famille dans la gestion joue un rôle clé dans l’amélioration de la performance carbone. Là encore des différences apparaissent. La présence de membres de la famille au poste de président-directeur général (PDG) ou président du conseil contribue à diminuer les émissions de carbone.
Si la présence d’un fondateur au poste de PDG réduit les émissions, l’effet d’un président-directeur général descendant, appartenant à la deuxième génération ou plus, est négligeable. De même, lorsque le fondateur préside le conseil d’administration, les émissions de carbone diminuent de manière significative, contrairement à un président descendant dont l’impact reste négligeable. Les fondateurs, qu’ils soient présidents-directeurs généraux ou présidents du conseil d’administration, jouent un rôle crucial dans la réduction des émissions de carbone, mais l’effet semble se diluer dans le temps.
Alors, quels enseignements ?
Pour perpétuer l’engagement environnemental des entreprises familiales au fil des générations, des stratégies favorisant des pratiques durables seraient à mettre en place dès la première génération, c’est-à-dire par le fondateur.
Par exemple, inscrire l’engagement en faveur du climat dans les statuts de l’entreprise à l’instar de l’entreprise outdoor Patagonia aux États-Unis ou Norsys en France.
Si le caractère familial d’une entreprise peut orienter les décisions d’investissement ou d’achat « verts », les investisseurs et consommateurs doivent y regarder de plus près. En matière carbone, certaines entreprises familiales sont plus vertueuses que d’autres et leurs comportements peuvent évoluer au fil du temps.